Le Jour de la chouette
par Sciascia
Si je vous dis « mafia », qu’est-ce que cela vous évoque ? Bien souvent, la réponse à cette question tournera autour de ce qu’Hollywood en a fait ! Des noms à consonance italienne, certes (Vito Corleone, Al Capone…), mais des histoires bien américaines, et la démesure qui va avec. Que ce soit à New York, Chicago, ou Los Angeles : fusillades et règlements de compte, traffics dangereux, flics véreux, et autres clichés sont en général les premières choses auxquelles l’on pense.
Ces images grandiloquentes, évidemment exagérées par l’objectif de la caméra, trouvent tout de même leur origine dans une certaine réalité. Et une oeuvre telle que le jour de la chouette de Leonardo Sciascia, publiée en 1961, a forcément du influencer les cinéastes du genre.
Court roman ayant pour toile de fond la Sicile du milieu du 20ème siècle, Le Jour de la chouette est un parfait condensé la culture qui étaye la réussite de l’entreprise criminelle qu’est la Cosa Nostra. Remplacez les fusils d’assaut par des carabines de chasse, les traffics de drogue par le contrôle des entreprises locales, et les milices quasi-militaires par des hommes de main prenant le maquis, et vous avez les éléments principaux de la trame romanesque.
Si un homme est abattu au milieu du village, est-il vraiment mort?
L’histoire commence un samedi matin, dans un village uniquement identifié par la première lettre de son nom. Premier signe que l’on entre dans un monde où tout est secret, jusqu’au nom des localités… Un homme est abattu alors qu’il tente d’attraper le bus de Palerme de 6h30. Abattu par qui ? Le miracle tient du fait que personne n’a rien vu ! Pas les passagers du bus bondé. Encore moins le vendeur de beignet, ou le chauffeur de l’autocar… Un fantôme a donc du présider cette exécution, c’est encore la meilleure explication.
Entre alors en scène un enquêteur qui va tenter de faire parler les uns et les autres dans le but de remonter le fil jusqu’au commanditaire de cet assassinat. Les langues d’abord silencieuses vont progressivement se délier, dans un pays pourtant d’habitude soumis à l’omertà, cette « loi du silence » si particulière au monde du crime en Italie.
La mafia ? Connais pas la mafia !
Le roman de Sciascia est particulièrement poignant car il retranscrit parfaitement à quel point la mafia est un simple fait de la vie dans l’Italie de l’époque. Tout le monde sait. Tout le monde subit. Mais personne ne dit rien. Les réseaux ont des ramifications absolument partout dans la vie de tout le monde (la mafia est également surnommée la piovra – la pieuvre). Les politiciens sont impliqués, les carabiniers sont impuissants et découragés, et les malfaiteurs oeuvrent en toute liberté.
Sciascia va droit au but, avec à peine 150 pages de très haute qualité. Pas le temps de tergiverser. A une époque où l’existence même de la mafia n’était pas acceptée par tous, le livre était importantissime. Il permit de mettre au premier plan cet aspect de la vie publique italienne, et de faire passer des messages. Le contexte politique de l’époque est bien visible en filigrane, notamment les tentatives échouées des fascistes de contrôler l’île de Sicile. Le commentaire est plus feutré qu’acerbe, donnant un certain ton mélancolique à l’ensemble. Mais on ressortira de la lecture avec l’envie de continuer la plongée en Sicile.