Le Colibri
par Sandro Veronesi
Le colibri est une grande saga familiale, avec un protagoniste central affrontant obstacles, aventures, déceptions, découvertes et autres remises en question. Cependant, le roman de Veronesi présente une particularité : Marco Carrera, ce protagoniste donc, reste parfaitement immobile, tel un colibri en vol stationnaire. Il déploie toute son énergie à rester en place, à chercher le status quo et maintenir l’existant, alors que le monde tourne autour de lui. Balloté de droite et de gauche par les tempêtes faisant rage pendant plus de 60 ans, Marco reste prudent et droit, véritable roc faisant face aux vagues et embruns.
Pourtant, que de chocs se produisent dans la vie de Marco ! Veronesi lui a concocté un programme aux petits oignons : une relation brouillée avec son frère, des parents qui ne s’aiment plus, une liaison épistolaire (et platonique) avec son amante, une fille avec des problèmes psy… Et bien plus encore ! Marco prend tout de plein fouet, se démène tout de même un peu, se sacrifie, et reste, coûte que coûte, ancré dans ce qu’il connaît… Les tragédies se succèdent, et Marco ne bouge pas d’un poil.
Réelle réflexion sur le pouvoir qu’un individu peut exercer sur sa propre vie, l’histoire ici contée est un crève-coeur. Veronesi explore les relations entre membres d’une famille : devoirs filiaux, non-dits, ressentiments… Tout y passe, alors que le temps s’écoule. Un sentiment inexorable que les sables du temps échappent à la faible poigne de Marco.
Une écriture entre douceur et technicité qui sauve une histoire finalement assez banale
Point de continuité chronologique à trouver ici ! Le roman est éclaté entre les années 1970 et 2030, avec des allers et retours incessants. Ce procédé est intéressant, car il créé une réelle intrigue : pourquoi Marco et ses proches agissent-ils tel qu’ils le font ? Quelle tragédie passée, cachée ou simplement non mentionnée par tous, a donc forgé les dynamiques actuelles ? Une certaine tension est ainsi palpable, et pousse à poursuivre avidement la lecture.
Autre technique : Veronesi alterne entre chapitres narratifs, qui permettent d’avancer dans le déroulement de l’action, et des lettres entre protagonistes, qui nous donnent plus de contexte sur les sentiments des uns et des autres. Un peu confus au début, on s’adapte vite à ces changements, qui participent à créer un rythme régulier qui devient familier au fil des pages.
Enfin, l’histoire est au final assez banale, ou tout du moins peu remarquable. Mais on se retrouve tout de même happé, grâce à une écriture (ou en tout cas une traduction) évocatrice et passionnée. J’ai senti Veronesi proche de ses personnages, montrant une réelle tendresse pour ces derniers. Et si l’intrigue passe au second plan, au moins les personnages sont-ils majoritairement vifs.
Au final, un roman assez différent de ceux écrits par des auteurs italiens que j’ai lus récemment (Sciascia et Magris). A recommander pour les amateurs d’histoires d’amour, ou de grandes histoires familiales, qui tournent mal, en général.