L’Homme est un accident
Enki Bilal – Entretien avec Adrien Rivierre
Enki Bilal comme auteur de bande dessinée, je connaissais. J’ai lu quelques uns de ses albums, et découvert avec plaisir ses univers de science-fiction jouant énormément sur l’enchevêtrements des timelines, le passé et le futur, la mémoire des hommes. Son approche graphique m’avait impressionné quand je découvrais lors de mes études que le dessin de BD pouvait aller plus loin que Tintin ou Astérix. J’ai donc eu l’oeil attiré par la couverture de « L’homme est un accident » lors d’un passage en librairie.
Plongée dans la psyché d’Enki Bilal
Le livre, court, prend la forme d’un entretien fleuve entre Enki Bilal et Adrien Rivierre. Jeu de questions et réponses qui se lit extrêmement facilement, avec l’impression que Bilal se trouve en face de nous, dans le confort de notre salon, une tasse de thé à la main. Au fil du texte, Enki Bilal partage son point de vue d’artiste sur certains grands sujets de notre époque : le dérèglement climatique, la perte de repères par rapport au monde numérique, la cancel culture, et bien d’autres.
On découvre un Enki Bilal relativement découragé et presque défaitiste. Même si lui même se décrit comme réaliste et lucide, son observation du monde est assez terne. Il n’est pas partisan de la décroissance pure, il n’est pas philosophiquement anti-internet primaire, et n’est pas non plus critique acerbe de l’Education Nationale… Mais il observe les problèmes qui peuvent exister dans chacune de ces sphères (et d’autres), en portant un regard critique sur ses contemporains, et les relie entre elles pour expliciter la direction qu’il voit le monde prendre. Il ne souhaite pas tirer de « sonnette d’alarme » (il estime que ce n’est pas son rôle), mais espère plutôt que son oeuvre pourra la faire pour lui. Restent des constats à charge envers l’humanité sans réelle solution apportée.
Entre points de vue lumineux et café du commerce
Mais pouvait-il en être autrement ? L’exercice auquel se livrent Enki Bilal et Adrien Rivierre est périlleux. L’artiste se livre personnellement, ce qui le met donc plus à nu que ne le peuvent faire ses bandes dessinées, car tous les propos sont explicites : beaucoup moins de possibilités d’interprétations pour le lecteur… Bilal s’assure de mesurer ou re-contextualiser ses propos à plusieurs reprises, il est très conscient des limites du format. Malgré tout, certains passages sont de moins bonne facture, avec des contributions s’apparentant beaucoup plus à des lieux communs qu’autre chose (« le futur c’est Huxley plutôt qu’Orwell« , ou « La Terre faut pas s’inquiéter, elle sera là bien après nous!« ).
En parallèle de l’entretien, Rivierre mène une exploration (superficielle) de l’oeuvre de Bilal, avec des annotations qui font des ponts entre le contenu de la discussion et les créations de l’artiste. Cela nous fournit une grille de lecture simple et utile pour mieux comprendre l’univers de ce dernier. Des dessins d’Enki Bilal viennent également ponctuer le discours, donnant un peu de piment au résultat final.
La lecture est rapide et agréable, et pour toute personne ayant un minimum feuilleté ses BDs, le livre aura une saveur un peu plus particulière. Au final, Bilal offre une vision personnelle et souvent juste sur la société contemporaine. Et même si certaines idées ne sont pas forcément hyper originales, ou si l’on est en profond désaccord avec l’artiste, ce livre permet de mieux contextualiser son oeuvre. Et donne envie de se replonger dans cette dernière, ce qui est au final sans doute le but de « L’homme est un accident ».