Jérusalem – Histoire d’une Ville Monde
sous la direction de Vincent Lemire
Comment faire tenir en moins de 500 pages le récit de 4000 ans d’histoire de Jérusalem ? Une ville qui a été au coeur de tant d’intrigues, d’invasions, de convoitises, et de légendes… Cette ville 3 fois sainte, fantasmée par les suiveurs des 3 grandes religions monothéistes !
De prime abord, l’effort paraît colossal, voire même futile. En effet, il semble impossible d’écrire quoi que ce soit de conséquent si chaque dynastie ou royaume ayant occupé Jérusalem ne dispose que de quelques dizaines de pages. Les auteurs de ce livre ont donc pris le parti de centrer leur histoire complète de Jérusalem sur ce que ses murs, écroulés comme toujours debout, nous racontent.
Urbanisme et architecture de Jérusalem
Comment un conquérant pose son empreinte sur une ville nouvellement occupée ? Que nous révèlent le nom des quartiers, le tracé des remparts, ou la disposition des bâtiments importants à propos des habitants qui ont habité les lieux au fil des siècles ? Autant de questions que les auteurs de cet ouvrage hyper sérieux et documenté nous proposent d’explorer.
Se basant sur les ruines, les cartes (j’adore les livres avec des cartes !), l’histoire des bâtiments (bref, sur ce que l’on peut voir comme les plus concrètes traces de ce qu’a été le passé), ce livre nous donne les outils pour mieux comprendre ce par quoi est passé cette ville qui n’aurait sans doute jamais devenir aussi importante sur la carte mondiale.
Située dans les collines désertiques de Judée, avec un accès à l’eau (potable ou navigable) exécrable, et une situation géopolitique complexe, constamment entre des empires agressifs et belligérants… Et pourtant point hautement stratégique et symbolique, mainte fois envahi. Les auteurs nous racontent les diverses époques, les constructions et destructions, les mouvements de population. Autant de vagues qui n’ont pas réussi à détruire la ville (même si elle s’en est souvent approchée).
A Jérusalem, le spirituel n’est jamais loin
Mais le réel trésor architectural de la ville ne réside pas vraiment dans ses étroites ruelles commerciales, ses systèmes d’aqueducs ingénieux, ou ses palais administratifs. Non, ce sont bien sûr ses monuments religieux qui concentrent les regards !
Jérusalem a longtemps été le lieu de nombreux pèlerinages. Encore aujourd’hui, musulmans, chrétiens et juifs viennent y admirer respectivement l’endroit du voyage nocturne du prophète Mahomet, le tombeau du Christ, et le temple de Salomon. Ces monuments ont, comme beaucoup d’autres de la région, hébergé différents cultes et ont subi de nombreuses modifications au fil des siècles. Le livre relate fidèlement ces évolutions et s’étend longuement sur leurs impacts sur la ville, son expansion, son fonctionnement. Au final, on comprend mieux la complète interpénétration des cultes et des architectures qui caractérise Jérusalem.
Encore plus intéressant, et vraiment prégnant dans ce livre : les liens entre religion, géographie, et pouvoir. Un exemple : au moment de sa conversion, la mère de Constantin trouve les reliques de la sainte croix à Jérusalem, ce qui permet de donner à cette dernière l’aura de Sainte Marie, faisant naturellement de Constantin l’image même de Dieu même, ce qui lui permet de renforcer son pouvoir politique grâce à un grand prestige religieux… Au passage, la ville devient alors bien plus importante qu’elle n’avait été jusque-là dans le monde chrétien, qui était jusqu’alors globalement tourné vers l’Anatolie. Bien d’autres exemples émaillent les pages de l’ouvrage.
Séparer le vrai du faux, entre union et désunions
Evidemment, difficile de parler de Jérusalem sans parler de tensions entre communautés religieuses. Au fur et à mesure des pages, on explore les aléas de l’Histoire, les guerres de religions, les croisades, et autres escarmouches. Or, il est souvent facile de se laisser happer par les émotions quand ces sujets sont abordés. A l’opposé, les auteurs adoptent une attitude toute scientifique et raisonnée : que nous disent les archives, les recensements, et tout autre type de document conservés jusqu’à nos jours ?
La conclusion est sans appel : avant le 20ème siècle, les communautés de Jérusalem étaient sans doute moins séparées et hostiles que ce que l’on pourrait penser de notre point de vue actuel. Les chiffres de population en fonction des religions, notamment, sont particulièrement intéressants à analyser, avec souvent des quartiers très multi-confessionnels. Il semblerait aussi que, quelle qu’aie été la communauté au pouvoir, de longues périodes de relative liberté religieuse aient été observées dans la ville. Et le degré de séparation et de tensions actuel est sans doute l’un des pires de l’Histoire d’une ville pourtant pas épargnée.
Cette lecture permet de mieux comprendre la situation actuelle de Jérusalem en se penchant sur son histoire. Avec très peu, voire aucun parti pris, cette « Histoire de la Ville Monde » est une analyse loin de l’agitation et du drama que l’on observe souvent sur le sujet. Et en ces temps d’hyper polarisation, un peu de mesure est sans doute ce que l’on peut espérer de mieux !