Brunel – The Man Who Built the World
par Steven Brindle
Il est difficile d’imaginer à quoi ressemblait le monde d’hier. On a souvent une vue qui est déformée par ce que l’on a appris à l’école ou vu dans des films. Surtout, on est généralement surpris par la vitesse de passage du temps, avec certains éléments nous semblant beaucoup plus lointains, ou proches, qu’ils ne le sont réellement. Par exemple, il semble contre-intuitif que les missions américaines Apollo ayant déposé des hommes sur la Lune soient plus proches dans le temps de la fin de la première guerre mondiale (51 ans) que d’aujourd’hui (54 ans)…
D’autres exemples : il y a 200 ans, construire un tunnel sous une rivière navigable était considéré comme la 8ème merveille du monde, alors qu’aujourd’hui, on construit des tunnels de 55 km de long sous les Alpes sans que grand monde ne sourcille. Ou encore : le plus long bateau du monde dans les années 1850 n’était que 29% plus long qu’un navire chinois construit plus de 400 ans plus tôt ! Bref, imaginer la chronologie générale est un exercice un peu casse-gueule.
Avec cependant une impression générale : le monde a largement accéléré depuis 2 siècles. Pour mieux comprendre pourquoi et comment, il faut se jeter dans l’histoire de la révolution industrielle. Et pour ce faire, quoi de mieux que la biographie d’un ingénieur touche-à-tout, qui a grandi au coeur de cette révolution : l’Angleterre de la première moitié du 19ème siècle !
C’est ce que nous propose Steven brindle dans « Brunel : The Man who Built the World. »
Voies ferrées, ponts, tunnels et autres joyeusetés
Partons alors à la découverte d’Isambard Kingdom Brunel. Déjà, pour commencer : quel nom ! Fils de Marc Brunel, un ingénieur ayant quitté sa France natale pour échapper à la révolution française, et d’une Sophia Kingdom toute britannique, Isambard suit dans les pas du premier : il sera ingénieur. Entreprenant l’arpentage de la ville où se situe son collège quand il a 14 ans, devenant ingénieur à proprement parler à 19 ans (certes dans l’entreprise familiale), Isambard est précoce.
Durant sa carrière, il touchera à tout type de constructions majeures : il sera l’ingénieur en chef de la Great Western Railway, l’une des premières lignes de train à grande distance (170 km entre Londres et Bristol). Pour achever cette ligne, Brunel devra aussi construire de nombreux grands ouvrages : ponts suspendus, tunnels, et autres grandes gares seront donc au menu.
Brunel prendra aussi un vif intérêt pour les bateaux. A l’heure du passage du bois au métal, il sera directement impliqué dans la création du SS Great Eastern (ici en dessin – History Today), navire pouvant transporter 4000 personnes entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Brunel se retrouvera embarqué dans une lutte pour réaliser la première traversée motorisée de l’Atlantique.
Parmi ses nombreuses réalisations, beaucoup briseront des records : le plus gros bateau du monde, le premier tunnel sous une rivière, la plus grande gare du pays… Isambard Brunel était un génie qui réussissait à constamment repousser les limites, trouvant le bon équilibre entre innovation, procédés industriels classiques, et soutien politique et financier.
Brindle nous compte l’Angleterre à travers Brunel
Le texte de Steven Brindle nous permet de plonger dans un monde passionnant : rivalités entre ingénieurs qui supportaient des standards rivaux, intrigues économiques et politiques dans la capitale britannique… On apprend beaucoup sur le mélange d’innovations technologiques, de système économique permissif, et de financements agressifs (et parfois suicidaires) qui ont permis au Royaume-Uni de devenir la première puissance économique mondiale de l’époque. (A ce sujet, je recommande d’ailleurs le podcast de Brad Harris : Context).
Ajoutons à cela un focus sur les habitudes et méthodes de travail homériques de Brunel, et l’on a tous les ingrédients pour une biographie courte et quasi-frénétique. Brunel travaillait 16 heures par jour, ne savait pas déléguer, et s’impliquait dans 30 nouveaux projets chaque semaine. Brute de travail, il s’est tué à la tache, mourant avant ses 60 ans d’un accident vasculaire cérébral.
L’auteur se concentre sur les réalisations monumentales de l’ingénieur, et sur l’impact qu’il a eu sur le pays. Mais il est presque trop révérend envers lui. Par exemple, quid des nombreuses victimes sur les projets de constructions, noyés par les flots de la Tamise ou tués par des éboulements ? On nous expose une attitude « héroïque » de Brunel, qui passait ses nuits dans les chantiers ou souffrait le martyre à dos de cheval pour aller lui-même repérer le terrain. Et oui, certes, il pouvait être colérique et irrespectueux. Mais voyez-vous, Brunel était un homme de son temps, avant les syndicats de travailleurs, quand la vie des petits n’avait que peu d’importance face aux accomplissements des grands de ce monde.
Que nous reste-t-il d’Isambard Brunel aujourd’hui ?
La nature des réalisations de Brunel fait que peu d’entre elles sont encore visibles de nos jours. Les technologies liées aux transports ont continué à progresser après la mort de Brunel, en 1859. Ainsi, ses ponts ont été reconstruits, ses voies ferrées tombées à l’abandon, et ses gares modernisées. On pourra tout de même se rabattre sur le toit de la gare de Paddington à Londres, ou sur le pont ferroviaire de Maidenhead, pour imaginer son travail.
J’ai également pu me rendre à un musée dédié à l’ingénieur, dans l’est de Londres, dans le quartier de Rotherhithe. Situé à l’endroit même de l’un des deux chantiers de construction du tunnel sous la Tamise, c’est un passage obligé pour accompagner la découverte d’Isambard Brunel.
Le tunnel était à l’origine une entreprise entamée par son père, mais Isambard s’est vite retrouvé ingénieur en chef. Le musée passe en revue l’histoire de la construction du tunnel, les techniques innovantes inventées pour la construction, et les impacts sociétaux de l’ouvrage. On y découvrira des dessins originaux, signés par les Brunel, des maquettes, et des cartes à foison. Surtout, on pourra descendre dans le puits qui avait été creusé pour donner accès aux profondeurs du sous-sol londonien aux ouvriers et ingénieurs.
C’est un endroit spécial, qui nous plonge au coeur de cette révolution industrielle biséculaire. Et il est assez romantique de se rendre sur ces lieux marqués d’histoire. Au final, cette courte biographie est loin d’être essentielle, car assez superficielle. Mais elle permet une introduction agréable pour aborder le Royaume-Uni du 19ème siècle. Disons que cela m’aura ouvert l’appétit, et m’aura permis des réflexions sur le temps qui passe.
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