L’île
par Robert Merle
Robert Merle nous donne dans les premières dizaines de pages de ce roman la recette parfaite pour obtenir un cocktail explosif :
- Des marins britanniques qui, en 1789, dans les mers du Pacifique sud, se révoltent et zigouillent leur capitaine.
- Ces même marins, pour éviter la potence, décident de s’échouer sur une île inhabitée et d’y former une nouvelle cité, en partant de zéro.
- Avant de s’isoler jusqu’à la fin de leurs jours, pas fous, ils passent à Tahiti pour se trouver quelques femmes à emmener avec eux.
- Pour assurer le bon fonctionnement de leur navire, puis aider aux tâches physiques une fois sur l’île, ils prennent aussi avec eux quelques hommes tahitiens.
Et Merle passe ensuite les 600 pages suivantes à agiter le shaker !
Evidemment, les marins qui se rebiffent ne sont, pour la plupart, pas des enfants de choeur… Et l’ouverture d’esprit, c’est pas vraiment le fort d’un écossais illettré devenu marin au service de sa Majesté au 18ème siècle. Si les premiers jours se déroulent correctement, le premier obstacle majeur qui se dresse devant les aventuriers semble insurmontable : il y a 12 femmes pour 15 hommes… A partir de ce moment, les hommes créent des factions, et c’est la dégringolade dans l’inimité, la compétition, et la haine.
L’intolérance et le racisme sont évidement les sujets centraux du roman. Excepté le personnage principal, les britanniques sont odieusement racistes, traitant les tahitiens presque comme des animaux… Faut dire que ça se base une réalité historique qui était sans doute encore pire que ça. Et les tahitiens ne se laissant pas faire, on se dirige rapidement vers un affrontement inévitable.
Parangon d’ouverture, d’humanisme, et de respect des libertés de tous, le protagoniste se retrouve bien seul à essayer de calmer le jeu. Il parlemente, il use de tours de passe-passe diplomatiques… Il reste inflexible également, arc-bouté sur ses principes. Arrivera-t-il à faire entendre raison à tous ces fous qui l’entourent ? Assistera-t-il au naufrage de cette communauté isolée au bout du monde ? Ou devra-t-il céder lui aussi aux même pulsions sauvages ?
De la démocratie et du rôle des femmes
Le commentaire de Robert Merle sur le concept de démocratie participative est particulièrement savoureux. Les marins décident que les décisions dans l’île seront prises à la majorité absolue : 9 britanniques = 9 voies égales. (On repassera sur l’absence de voies données aux « noirs ».) Et chaque décision doit donc rassembler au moins 5 votants pour être entérinée. Du coup, quand on prend des marins qui ont toujours été aux ordres, et qu’on leur donne enfin voie au chapitre, cela donne lieu à des scènes franchement drôles ! De la découverte du pouvoir de l’abstention, aux revirements inattendus au moment fatidique, en passant par un capitaine déchu devant apprendre à ne plus avoir le pouvoir absolu : la démocratie sur l’île se trouve être un exercice bien compliqué !
Autre point : le statut des femmes. D’abord simplement là pour être « choisies » comme compagnes par les hommes, elles se révèleront progressivement être les vraies décisionnaires sur un certain nombre de sujet. Elles prennent progressivement les places centrales dans le jeu politique sur l’île. Et il faut admettre que les décisions de ces dernières débouchent sur beaucoup moins de violence et d’impasses diplomatiques.
Dernier point : j’avais au départ quelques craintes sur le traitement des tahitiens dans le roman. En effet, les premiers chapitres présentent ces derniers de façon relativement simpliste, désuète… Les « bons sauvages » qui vivent nus, pratiquent la polygamie, et sont des brutes assoiffées de sang. Heureusement, avec les pages, Merle introduit un peu plus de nuance aux propos, à mesure que l’intrigue avance.
J’avais ce bouquin dans ma « pile à lire » depuis des lustres. La raison : le livre commence à la page 21 ! Pas banal… Dans ces cas-là, il paraît qu’on peut simplement rapporter le bouquin dans n’importe quelle librairie. Et le libraire pourra l’échanger contre un livre entier. Mais comme j’habite en Irlande… Bref, j’ai au final téléchargé un ebook pour commencer la lecture. Et aussi lire les pages 321 à 344, également manquantes… Je m’en souviendrai de cette coquille !