Cycle de Terremer
par Ursula K. Le Guin
Survoler Terremer, c’est mesurer l’immensité de cet archipel sorti du grand océan à l’orée de l’ère des hommes. Naviguer entre les centaines d’îles de Terremer, c’est observer des cultures humaines souvent insulairement opposées les unes aux autres. Parcourir les vallées et les montagnes de Terremer, c’est sentir palpiter sous ses pas la magie ancestrale qui s’écoule lentement de la terre.
On va suivre dans les contes de Terremer le personnage de Ged à plusieurs époques de sa vie. Ses aventures vont l’emmener d’île en île pour répondre aux grandes questions qui ébouriffent ses contemporains. En allant à la rencontre des populations locales, en menant une succession de quêtes fantastiques à bien, et en apprenant à maîtriser la magie, il trouvera progressivement sa place dans le monde colossal créé par Ursula le Guin.
D’ailleurs, en plaçant le monde de Terremer sur un archipel sans continent ou île principale, l’auteur se donne le loisir d’implanter des contextes locaux très différents sur chaque île, et ainsi d’explorer successivement des pans multiples d’un même univers, tout en préservant une forte cohérence. Habile !
Les thèmes principaux ne sont pas vraiment ceux que l’on attend
Sous certains aspects, le monde du cycle de Terremer est hyper classique. On retrouve bien les traditionnels sorciers, dragons, école de mages, le trône vide depuis mille ans, et j’en passe… D’ailleurs, les clins d’oeil à l’univers de Tolkien sont nombreux (un anneau pour rééquilibrer les forces magiques, la corruption des sorciers par leur art…). Mais quel roman de fantaisie post-SdA n’a pas été influencé par ce dernier ?
Pourtant, les thèmes les plus intéressants du cycle de Terremer ne sont pas ceux-là. En effet, plutôt que de conditioner l’avancée du récit à une succession rocambolesque d’événements plus épiques les uns que les autres, Ursula le Guin ancre le rythme sur ses personnages et sur leurs découvertes d’eux-même. Ici, la compréhension de l’imbrication du bien et du mal est prioritaire sur les batailles et autres péripéties. A la fin des comptes, les héros seront les êtres qui achèvent leur quête interne de recherche de sens. Et la magie n’est qu’un outil scénaristique, une pirouette qui permet l’introspection.
Le cycle de Terremer – modernité indéniable
Selon moi, le vrai tour de force de la série réside cependant dans ses personnages féminins. Je ne me rappelle pas avoir lu un cycle de fantaisie ayant des personnages féminins aussi bien écrits et aussi profonds. Bien sûr, le personnage central des livres 2 et 4 (Les tombes d’Atuan, et Tehanu) est une femme. Mais la vraie subtilité est que cette femme, Tenar, n’est pas magicienne, n’a pas de pouvoirs spéciaux. Elle ne manie pas l’épée aussi bien qu’un homme (enfin, presque aussi bien, faut pas déconner !). Non, ici, l’intrigue elle-même se concentre sur la position de Tenar par rapport aux hommes qui l’entourent, sur ses rôles et ses devoirs, et sur sa soif de sens. L’injustice de sa situation est relatée avec une immense douceur. On ressent ses peines et incompréhension du monde, les forces qui la ballottent à droite et à gauche. Ce personnage est un travail d’orfèvre !
De là à dire que le cycle de Terremer est une oeuvre féministe, il n’y a qu’un pas. Je ne sais pas si je le franchirais allègrement. Reste que la sensibilité est omniprésente, que les les meilleurs passages sont les moins mouvementés niveau action, et que la quête la plus émotionnellement déchirante est aussi la plus universelle qui soit : « qui suis-je, et quelle est ma place dans le monde ? »