The Ministry for the Future
par Kim Stanley Robinson
A l’origine du roman d’anticipation de Kim Stanley Robinson, un constat : les décisions politiques qui doivent être prises aujourd’hui pour combattre les pires effets du réchauffement climatique à long terme sont dans les mains de personnes dont l’horizon principal est la prochaine élection. Quelques courtes années de mandat, c’est bien trop court pour s’aventurer à prendre des décisions qui auront certes des effets positifs dans 30 ans, mais qui à court terme semblent « liberticides » ou carrément négatives. Une grave non-concordance des temps d’action qui explique peut-être en partie l’inaction climatique de nos gouvernements.
Cette incapacité de nos contemporains (moi compris) à agir maintenant aura une victime : les générations suivantes. Après moi, le déluge ! disait Louis. Mais Kim (Stanley Robinson) ne l’entend pas de cette oreille. Comment faire entendre, dans un débat déjà bien inaudible, les voix de ces futurs êtres humains, ceux qui auront à gérer au quotidien les canicules, flux migratoires, et autres urgences alimentaires en pagaille ?
La solution trouvée par notre auteur : inventer un Ministère du Futur, chargé de représenter les intérêts des générations à venir dans les décisions contemporaines quant à l’organisation du monde. Politique, économie, projets technologiques… Avec l’atteinte des objectifs climatiques (du GIEC et autres accord de Paris sur le climat) en fil rouge.
Alors, que préconise ce fameux ministère ?
Kim Stanley Robinson expose dans son roman une foule de solutions climatiques qui, mises en commun, pourraient nous permettre de voir le bon bout. C’est bien la force de cet ouvrage : il nous permet de prendre de la hauteur par rapport au débat habituel assez bas étage entre « khmers verts » adeptes de la décroissance et techno-optimistes béats qui nous rebattent les oreilles à coups d’avion à l’hydrogène. Là où chaque militant écolo bat son propre pavillon, ce livre nous rappelle que le salut viendra d’une approche hybride.
Et toutes les solutions y passent : changement des modes de transport, séquestration artificielle du carbone, et autres techniques assez bien identifiées aujourd’hui. Mais Robinson étant un auteur de science fiction avant tout, il nous emmène sur des pentes un peu plus trépidantes : géo-ingénierie, création d’une devise financière indexée sur les émissions de carbone (Carbon Quantitative Easing), et autres projets à taille planétaire. Si on ne doit retenir qu’une chose de cette lecture, ce serait : la solution sera globale et multi-facettes. C’est en tout cas passionnant.
Avant tout une crise sociale
Bizarrement, là où le Ministry for the Future est le plus fort, c’est dans son approche humaine et sociale. Kim Stanley Robinson met au centre de sa trame narrative les problématiques de migrations climatiques. En effet, cette crise planétaire qui a déjà débutée aura pour conséquence de forcer des millions de personnes à chercher une vie ailleurs. Malheureusement, ces impacts seront sans doute bien plus efficaces que toute canicule estivale pour faire évoluer les mentalités.
Les mouvements de résistance, de désobéissance civile, ou même d’action violente sont plébiscités dans le roman, avec une intensification dans le temps clairement visible. On ne sait si l’auteur l’appelle de ses voeux, ou observe simplement que c’est une tendance qui devrait sans doute s’alourdir avec les temps…
La représentation des pays émergeants (ou émergés) dans le débat est également au centre de l’intrigue. L’Inde prendra ainsi un rôle de leader dans la bataille contre les degrés supplémentaires, selon l’auteur. On est au coeur de la question de la responsabilité : les régions qui ont le moins contribué au réchauffement en subissent les pires effets. Comment ne pas penser, horrifiés, à la vague de chaleur qui s’est abattue sur l’Asie du sud en 2022.
Une lecture importante
Ce Ministry for the Future est à recommander à absolument tout le monde. Il permet d’identifier les enjeux, entrevoir les solutions, et quand même, à la fin, avoir un peu d’espoir. Il est parfois complexe de savoir si l’on est dans l’oeuvre de fiction ou dans l’essai politique. Réalité et voeux pieux se superposent allègrement, et on pourra s’interroger sur un certain idéalisme de l’auteur. Chacun mettra la limite de ce qui est faisable par nos sociétés à un point qui lui semblera personnellement acceptable, mais tout le monde réfléchira aux enjeux.
Le schéma narratif n’est pas extra : on papillonne de situation en situation, de personnage en personnage, ce qui donne une excuse pour explorer les solutions que l’auteur veut nous exposer. Au final, j’ai trouvé les fils narratifs peu intéressants, voire brouillon. Et impossible de m’attacher à des protagonistes si peu inspirants. Mais on trouve tout de même certains passages assez puissants, et notamment le tout premier chapitre : récit horrifié d’une vague de chaleur, toujours en Inde, qui m’a fait poser le livre plusieurs fois pour reprendre mon souffle.
Dernier point : lire ce livre, c’est un peu comme lire les nouvelles, ces temps-ci. J’ai mis un temps incroyable à le finir car je me retrouvais à l’éviter sciemment quand je n’étais pas d’humeur… On recommandera donc au lecteur de s’y attaquer quand il sera dans un état d’esprit idoine.